Wei Libo, artiste félicité des Beaux Arts de Paris, 2025

Les (re)trouvailles


Wei Libo, Family birds (xixi & chìchì)
canard mandarin, ceramics, wooden marquetry, found furniture, 190 x 130 x 55 cm, unique
&
Family birds (Cui Cui), ceramic, wooden marquetry, 26 x 35 x 35 cm, unique. © Ophélie Maurus

Enfant, nous jouions à imaginer l’avenir. Nous tentions de donner une forme à notre moi adulte, essayant avec une joie pure, une vie possible. Tous ces « je serai » avaient la saveur des formules magiques. Nous faisions là l’expérience de la puissance du verbe.
Adultes, avec nos contours plus fermes, nous rebroussons chemin. Nous nous hasardons à remonter la veine pour retrouver ce fil d’or qui court dans nos souvenirs, dans nos fractures, cherchant quelle figure avait notre enfance. Nous rencontrons alors, dans les steppes de cette enfance, nos solitudes premières, primes immensités qui enveloppent toute notre existence et qui lui donnent un sens.

Wei Libo matérialise cette aventure. Son œuvre suit les sinuosités du souvenir. L’artiste serpente dans sa mémoire et forme dans le bois et la céramique le fruit de ses (re)trouvailles. Il crée alors un mobilier étonnant, celui de son enfance, réinvesti et déformé par le cheminement mémoriel. L’artiste fraîchement félicité par les Beaux-Arts de Paris, multiplie les expositions. Il est actuellement exposé à Paris (à la galerie du 19M), à Shanghai (à la galerie Linseed), à Londres (à la Public Gallery) et à Bruxelles (au musée Juif de Belgique).  

Deux regards

Wei Libo, originaire de Lanzhou, se rappelle la politique d’urbanisation en Chine dans les années 1990, qui avait contraint sa famille à abandonner la maison que son grand-père avait construite et meublée de ses propres mains. Il y a la perte, le bouleversement et puis surtout les impressions que les soucis des grands laissent, faites de couleurs, d’odeurs et de textures dans l’imaginaire d’un garçon. Sous les doigts du plasticien, le flot des impressions se concentre et s’esthétise. Et puisqu’il est artiste, il a le privilège de superposer deux temps d’une même vie, modelant au présent dans des matières dures et durables le corps souple et évanescent du souvenir. On peut lire alors, dans son œuvre, sans hiatus, le double regard de l’adulte et de l’enfant.

En effet, il ne vise pas une imitation fidèle : il montre plutôt les distorsions causées par son regard innocent sur les choses, et non les choses elles-mêmes. Wei Libo module ce qu’il a traversé avec un œil neuf, rempli de créatures et d’aventures. Aussi, les courbes et les lignes qui multiplient les douceurs, les arrondis, ont quelque chose d’enfantin. Et puis, y a un jeu rigolo et tendre, celui de la paréidolie. Ne voyez-vous pas comme moi des visages partout, des pupilles rondes comme des billes, des sourires comme des vagues ? Les jarres ont des yeux, l’armoire aussi.
Les pièces en bois sont souvent ajourées, elles ne sont pas seulement traversées de lumière, elles font le jour, ou pour mieux dire, elles illustrent au grand jour un passé qui prospère d’habitude dans l’ombre.

Cette même grande armoire présente son dos plutôt que sa face, et ses portes ouvertes à l’arrière s’étirent pareilles à deux grandes ailes. Cette mise en scène dérobe à la vue dans un premier temps, ce qu’elle tient en son sein, attisant la curiosité de qui regarde. En fait, elle cache des jarres ou des fruits. D’ailleurs, ces fruits sont partout, sculptés dans le bois de manière hyperréaliste et mis en scène comme de petits trésors. Mûrs et dodus, ils occupent une place majeure dans l’œuvre de l’artiste. Ils matérialisent d’une part, la maturité de l’adulte ; d’autre part, ils symbolisent la vitalité : l’énergie mordante du souvenir, la permanence de l’enfant enfoui dans chacun de nous. Ils illustrent encore cette gourmandise à revisiter son passé à travers des objets enrobés de nostalgie parce qu’ils sont les reliques d’une maison, d’un cocon où l’artiste a fait l’épreuve des premières formes d’amour, et qui n’est plus.

Wei Libo, Family birds (Jiu Jiu), 2023
ceramic, wooden marquetry, 32x32x29 cm
Courtesy: the artist and Sans Titre, Paris © JinYong Lian

Le mobilier, une extension de soi

Les matériaux eux-mêmes participent à la multiplication des messages. Le bois caressant et chaud dessine son histoire dans sa peau. Les rainures, les aspérités, les cernes disent tout ce qu’il fut. Il est le medium idéal pour ordonner le souvenir. L’artiste et le bois confondent leurs voies pour convoquer avec douceur ce qui se trouve à la racine.
Ce dernier partage avec la céramique une place essentielle dans la culture chinoise. Ils constituent deux des cinq éléments fondamentaux avec l’eau, le feu et le métal. Naturelle comme lui, la céramique est légèrement détournée d’une esthétique séculaire : sur sa panse s’étirent de nouveaux motifs élastiques, le sujet lui naît littéralement sur le ventre. Il est en marqueterie de bois. La prouesse technique est remarquable notamment parce que le bois qui épouse le galbe de la céramique ou qui le contredit, semble aussi léger et fragile qu’elle.
Ainsi, les œuvres sont souvent composites à l’image de l’identité, somme de facettes qui disent le parcours, les accidents et les réussites. Elles sont toujours référencées et renvoient à ce qui perdure parmi la somme des objets, des moments perdus : l’individualité se fond ici dans la culture. 

Wei Libo interroge ainsi la valeur artistique du mobilier et débarrasse le meuble de sa qualité pratique pour lui donner l’allure d’une sculpture. Il n’a plus rien de fonctionnel. Une intention toute différente l’habille : tous ces objets portent une partie d’une identité individuelle et collective. Fouillé, réinvesti sous cet angle, ce matériel est porté au-delà de lui-même : il est l’incarnation d’un passé, une extension de l’artiste et du monde dans lequel il s’est construit, brique après brique. Il souligne dès lors les lois d’un monde où tout semblait possible, monde clos et révolu, à chaque instant plus lointain et donc plus précieux.

L’artiste, présente les objets en dehors du carcan qui les isole. Il montre à travers eux l’Histoire, son histoire sans jamais bouder la notion de plaisir. Il rend accessible avec beaucoup de délicatesse, ce qui est à la limite de lui-même. Ses œuvres peuvent être rencontrées en Europe et en Asie, ce n’est pas seulement une opportunité, c’est une chance.

Wei Libo, Furniture and I, 2025, exhibition view.
Courtesy: the artist, Frac Île-de-France, Paris and Sans Titre, Paris © Martin Argyroglo

17 novembre 2025

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Clara Tournay